Dans les rues animées de Douala, l’odeur du tilapia grillé flotte sur les marchés dès le petit matin. Dans les foyers, il mijote doucement dans les marmites familiales. Dans les restaurants chics, il est présenté en filet délicatement assaisonné. Peu de produits peuvent se vanter d’être à la fois aussi populaires et aussi universels. Le tilapia, poisson humble et accessible, est devenu un véritable symbole culinaire du Cameroun. Mais derrière cette apparente simplicité se cache une réalité économique lourde de promesses : le tilapia pourrait devenir un moteur stratégique pour notre économie alimentaire.
Le paradoxe camerounais
Le Cameroun est un pays béni par l’eau. Rivières, lacs, barrages… notre territoire dispose d’une richesse aquatique exceptionnelle. Théoriquement, nous pourrions produire la majorité de notre poisson localement. Pourtant, les chiffres racontent une autre histoire. Selon les données de la FAO et des autorités locales :
- Le Cameroun importe chaque année près de 150 000 tonnes de poisson congelé, représentant plus de 50 % de la consommation nationale.
- La production locale de tilapia ne couvre qu’une fraction de la demande, malgré une population de plus de 28 millions d’habitants, en forte croissance urbaine.
Pourquoi ce paradoxe ? La réponse est multiple. Les structures de production restent fragiles, souvent artisanales, avec peu d’investissements modernisés. Les éleveurs dépendent largement d’intrants importés comme les alevins et les aliments concentrés. La logistique, elle, peine à acheminer le poisson frais vers les marchés urbains. En clair, un potentiel immense existe, mais il reste largement inexploité.
Tilapia : le poisson universel
Si le tilapia suscite un tel engouement, c’est parce qu’il coche toutes les cases pour devenir un produit stratégique :
- Apprécié par toutes les classes sociales : des marchés populaires aux restaurants étoilés, chacun connaît et consomme le tilapia.
- Polyvalent en cuisine : frit, grillé, en sauce, en filet, séché ou fumé, il s’adapte à toutes les traditions culinaires et aux palais les plus exigeants.
- Demande constante : avec l’urbanisation croissante, les besoins en poisson frais explosent. À Douala et Yaoundé, les marchés signalent une augmentation de 10 à 15 % par an de la demande en tilapia.
Grâce à sa forte demande locale et au potentiel de production national, le tilapia devient bien plus qu’un simple poisson : c’est une véritable opportunité économique.
Une filière avec un potentiel économique colossal
La production de tilapia ne se limite pas à la pisciculture. Autour de ce poisson gravitent de nombreuses activités économiques :
- Fabrication d’aliments pour poissons : une chaîne d’approvisionnement essentielle qui peut stimuler l’industrie locale.
- Production d’alevins : secteur souvent délaissé mais stratégique pour la croissance durable.
- Transformation et conservation : filets, produits séchés, fumés ou congelés pour l’export.
- Distribution et logistique : acheminer le poisson frais des fermes aux consommateurs urbains reste un défi et une opportunité.
Chacune de ces étapes représente un segment de marché encore peu structuré, offrant des possibilités d’investissements pour les entrepreneurs et investisseurs avertis. On pourrait comparer la filière tilapia à un puzzle dont chaque pièce attend d’être assemblée. Ceux qui réussiront à relier producteurs, transformateurs et distributeurs auront une longueur d’avance dans la création d’une filière solide et durable.
Quelques chiffres clés pour saisir l’ampleur
- Production locale estimée : ~75 000 tonnes/an, avec une marge de croissance annuelle de 8 à 12 % si les investissements structurants sont réalisés.
- Consommation nationale de poisson : ~300 000 tonnes/an, ce qui laisse un gap considérable à combler.
- Contribution potentielle à l’emploi : la filière pourrait générer plus de 50 000 emplois directs et indirects si la production et la transformation sont développées.
- Économie d’importation : une augmentation de 50 % de la production locale permettrait d’économiser plusieurs dizaines de millions de dollars chaque année en devises.
Ces chiffres montrent clairement qu’il ne s’agit pas seulement d’un produit alimentaire, mais d’un levier économique stratégique capable de stimuler la croissance locale, créer des emplois et renforcer l’autosuffisance alimentaire.
Et maintenant ?
La vraie question n’est plus de savoir si le tilapia est important : il l’est déjà. La question est de savoir quand le Cameroun décidera-t-il d’investir sérieusement dans sa production et sa filière ? Chaque mois qui passe sans action est une opportunité perdue, tant sur le plan économique que sur le plan social.
Pour les entrepreneurs, investisseurs et décideurs, la filière tilapia offre un terrain fertile pour l’innovation et la croissance. Qu’il s’agisse de pisciculture intensive, de transformation de produits ou de solutions logistiques, les opportunités sont nombreuses et rentables.
